Les mages de bataille de Kastellion avançaient avec audace dans les marais situés au-dessous de Yitharn. Merick était convaincu que son assaut était la seule diversion capable de libérer les hommes d'Alric. À trois reprises, ils avaient échoué dans l'ascension de la face nord, et ne survivraient sans doute pas à une autre déroute.
Les collines grouillaient de squelettes tireurs d'élite et, alors que les pieds des mages s'alourdissaient de plus en plus sous le poids de la terre visqueuse, la première flèche se planta dans le bourbier environnant.
" Repoussez la tempête, mais ne stoppez pas votre progression!» tonna Merick.
Une ombre recouvrit les mages alors qu'ils invoquaient frénétiquement le bouclier, et ceux qui attendirent un tant soit peu trop de temps pour se mettre à couvert avant que ne s'abatte le déluge de flèches ne purent terminer l'invocation.
L'orage et le vent se matérialisèrent en couches superposées au-dessus des guerriers de Kastellion, déviant le premier torrent de flèches. Quelques mages s'étaient arrêtés et n'étaient plus capables de se libérer, lentement engloutis par les marécages. Que leurs camarades poursuivent
leur progression sans eux n'était en rien un manquement à l'honneur; c'était au contraire impératif car, dans cette vallée, la moindre hésitation était synonyme d'une mort certaine.
L'or et l'argent commencèrent à scintiller sur la pente nord lorsqu 'apparut Alric, menant ses hommes vers une ultime tentative de prise de contrôle de la colline. Si l'une des unités fléchissait maintenant, une fin douloureuse les attendrait toutes les deux. Merick commença l'invocation d'un sort dangereux avant même de réaliser
ce qu'il faisait. Il sentit son coeur battre à tout rompre et son sang bouillonner dans ses veines, mais il réussit à maitriser l'éruption destructrice qui naissait en lui et à l'expulser hors de son corps. Un torrent en fusion s'échappa alors de son torse et se répandit le long des bois morts longeant les collines. Les autres mages imitèrent leur chef ; quelques-uns implosèrent dans un nuage de cendres et de flammes, mais la plupart réussirent à lancer le sortilège. Lorsque les mages de bataille de Kastellion atteignirent les contreforts de Yitharn, la forêt était en flammes et l'armée de morts-vivants fuyait.
Le jeune Merick regardait dormir son petit frère. Un violent orage se déchainait contre les murs du vieux manoir, dont les fenêtres tremblaient sous l'assaut des éclairs et des trombes d'eau, sans cependant troubler le moins du monde le sommeil du nouveau-né.
Merick se sentait en sécurité lorsqu'il était à côté d'Alric. Une force inexplicable émanait du bébé - une force que même sa minuscule taille ne parvenait à diminuer. Méme s'il n'était agé que de trois semaines, Alric faisait montre d'un calme que bon nombre d'adultes ne possédaient même pas. Lorsque Merick se trouvait à côté de son petit frère, il ressentait ce même calme et cette confiance en soi.
Les souvenirs de ses rêves lui revinrent. Des visions d'abomination éradiquées il y a bien longtemps, s'insinuaient dans son esprit et y subsistaient, hantant la lisière de sa conscience. Elles s'exprimaient dans des langues oubliées depuis des siècles, bien qu'encore compréhensibles. Armées de chaînes capables de pervertir la vérité et la
lumière, elles prenaient racine dans l'esprit de l'enfant. Le berceau se balança doucement alors que Merick se glissait en dessous, se baissant sous le cadre de bois. Il entendit la nourrice bouger sur sa chaise, mais son ronflement sonore reprit au bout d'un moment. Le sol était froid et dur en comparaison de son lit mais Merick était apaisé lorsqu'il se tenait près du berceau de bois grinçant. Il lui fallut un certain temps pour trouver la bonne position sur le sol pavé, tout en prenant garde à ne pas réveiller son frère, mais il finit par s'endormir. Et même si ses rêves étaient remplis de légions horrifiques réduisant les mondes en cendres tout autour de lui, Alric était tout près, lui prodiguant le courage nécessaire pour les endurer.
J'ai longtemps cru qu'il existait un mal originel, une force primitive issue du néant dont le seul but était de détruire le futur de tout être vivant. Cependant, au vu de mes récentes études et de l'observation de la chute et de la corruption des hommes bons, j'ai développé une nouvelle croyance: le mal a toujours existé - c'est la lueur, que nous appelons bonté, qui a jailli d'un coin inconnu de la création pour se dresser contre ce pouvoir qui a toujours existé et qui sera à jamaisLe jeune mage faisait tournoyer un morceau de bois entre ses doigts tout en regardant son frère s'entraîner avec les autres garçons. Le combat le distrayait tellement que l'exercice s'en trouvait complexié. Merick augmentait la température du morceau de bois juste assez pour qu'il menace de s'enflammer, puis l'enveloppait d'un froid mordant. L'exercice était simple, mais lui permettait de garder son esprit en alerte ; jusqu'à quel point pourrait-il faire chauffer le bois sans qu'il s'enflamme, et combien de fois pourrait-il répéter le processus avant de perdre le contrôle ? Cela faisait trois jours qu'il s'entraînait avec cette branche de bouleau. Il réussissait d'ordinaire à tenir plus longtemps, mais trois jours était déjà un bon résultat.
Un nuage tourbillonna autour de l'arène lorsqu' Alric pivota sur ses pieds, inversant sa position. Son équilibre faillit l'abandonner un court instant mais son second pied finit par toucher le sol, symbole du succès de la manœuvre. La cour résonna d'un bruit sec lorsque les deux épées de bois s'entrechoquèrent, mais toute la force du coup porté par Alric résidait dans le mouvement de son coude.
L'autre garçon porta une main à ses côtes et recula en titubant, réussissant avec peine à maintenir une garde un tant soit peu effective.
"Rends-toi!", tonna Alric, avançant d'une démarche assurée.
"Laisse tomber, Boonsworth." Méme s'il était de quatre ans son cadet, Alric dépassait déjà Merick d'une tête.
Merick allumait et éteignait le baronnet de plus en plus rapide-ment, se forçant à répéter l'exercice le plus grand nombre de fois possible avant que Boonsworth ne perde son épée. Il pensait en effet fort peu probable que ce dernier l'emporte mais, avec la même imprudence qu'Alric qui avançait l'épée dressée au-dessus de la tête,
Merick se lançait dans des manœuvres inutilement complexes au cas où un coup serait finalement porté. Boonsworth n'abandonnait ni ne contrait, se contentant de s'accrocher pour réussir à repousser la série d'attaques. Il para la première et la seconde, mais la troisième et la quatrième affaiblirent sa prise. La cour était silencieuse,
et seuls y résonnaient les bruits secs des coups, chacun croissant en tempo et en férocité. L'épée de Boonsworth se brisa en deux, mais il avait eu le mérite d'anticiper suffisamment pour pouvoir malgré tout se dégager de la ligne de frappe. L'épée émoussée d'Alric n'arracha alors que des bandes de poussière
"Stop ! J'abandonne ! J'abandonne!" hurla le garçon. Tout le monde applaudit. Le bâtonnet s'enflamma et Merick le laissa tomber au sol, puis il sauta par-dessus la barrière pour aller donner une accolade à son frère.
Dans les chroniques des générations perdues se trouvent des légendes relatant la corruption et la chute de nos plus grands champions. Prenons l'exemple de Llovar Rutonu, un chaman longtemps respecté du clan Loth K'har.
Sa sagesse et son pouvoir guiderent la tribu Uthuk pendant de longues et prospères années, mais furent également la cause de sa disparition. Errant dans les contrées grises d'Aenlong, Llovar Rutonu entra en communion avec des entités jamais rencontrées auparavant. Ses forces fléchirent face à leur pouvoir de corruption, donnant naissance aux Uthuk Yllan et à l'avènement de la Première Obscurité...Eliza laissa traîner ses doigts dans la mare de sang naissante, se nourrissant du reste d'énergie vitale. La froideur de la nuit faisait naître des volutes de vapeur à l'odeur plus qu'agréable. Cela semblait étrange, mais elle acceptait le changement. Grâce à son nouveau pouvoir, les gardes ne lui avaient pas posé grande difficulté.
Elle s'était délectée de l'effroi qu'elle avait provoqué chez eux alors qu'elle les réduisait en pièces. Une réminiscence de son ancienne moralité de mortelle ressurgit un bref instant pour protester contre cet amusement, mais elle chassa très vite ces pensées. Elle sortit une clé de sa poche et ouvrit la porte d'entrée de la maison de sa soeur.
Les ombres se ridèrent et se courbèrent devant son regard, mimant la forme des objets qui se dissimulaient derrière elles. Elle réussit ainsi à percevoir le vase situé tout au fond du hall ; elle distinguait chaque maillon de la chaîne qui maintenait le chandelier éteint; elle voyait également le domestique qui l'observait au travers de la
porte entrouverte du placard. Bien sûr, elle pouvait également le sentir, et entendait parfaitement le claquement de ses dents.
"Sors de là", ordonna-t-elle, faisant face au placard. 'homme retint sa respiration et elle entendit son coeur s'arrêter un bref instant, chose qu'elle ne pensait pas possible jusqu'à présent. Elle attendit, mais il ne sortit point. « Très bien... » Eliza se fondit dans les ténèbres qui l'entouraient et se retrouva un instant plus tard dans le placard, juste derrière le domestique tremblotant. "C'est donc moi qui viens a toi."
"A moi!" cria l'homme, mais Eliza le saisit par les cheveux avant qu'il n'ait eu le temps de fuir. Elle se retourna et le projeta contre les étagères, qui s'effondrèrent toutes sous l'impact. Se penchant en avant, elle laissa ses dents pointues courir sur le lobe de l'oreille de l'homme et murmura "Tu aurais dů écouter. Mais bon, cela en
fait davantage pour moi." Elle le tua en une fraction de seconde, chose qu'elle regretta par la suite. Le goût du sang toujours sur ses lèvres, elle ressortit du placard et reprit son chemin vers la chambre de sa soeur.
La rotonde centrale abritait l'escalier principal et était bordée d'un balcon interne. La lune décroissante dispensait une lumière inquiétante à travers le plafond de verre tandis qu'Eliza se hâtait vers les marches, ses pas ne produisant pratiquement aucun bruit.
"Lady Cathori, nous vous demandons respectueusement de stopper là où vous êtes." héla une voix d'homme. Une sombre énergie picota les doigts d'Eliza, qui s'arrêta net. Elle laissa la magie prendre forme mais relâcha sa posture, écartant lentement les mains.
« Monsieur, que signifie ceci ?"
Il n'y eut aucune réponse immédiate. Il était évident que les cris poussés au-dehors avaient alerté ces hommes, et il ne faisait aucun
doute qu'Eliza et sa sceur n'étaient pas en bons termes. Mais abattre un noble désarmé n'était pas chose à prendre à la légère.
« Lady Eliza, je pense qu'il est préférable que vous partiez» implora le garde avec énergie. Eliza entama lentement la montée de
l'escalier. "Milady, nous avons nos ordres - pas un pas de plus !"
Eliza avait atteint le premier palier et se tournait lentement. "Eh bien, garde, je pense que vous devriez sauter." .
« Milady?»
"Vous m'avez entendue. Sautez du balcon. » Eliza enroula lentement les ombres dans sa paume. La clarté lunaire illumina le visage de l'homme lorsqu'il sortit de derrière un pilier, puis il enjamba la rambarde. Un flot de larmes miroita le long de ses deux joues lorsqu'il répondit d'une voix tremblotante « Comme Milady le sou-
haite ». Plusieurs gardes poussèrent des cris et l'un d'entre eux se précipita vers lui, mais il était trop tard. Dans un bond silencieux, l'homme bascula comme une pierre au centre de la pièce.
Eliza perçut le son caractéristique de plusieurs flèches que l'on décoche. Levant la main, elle emprisonna chacune d'entre elles dans les ombres tourbillonnantes qu'elle maintenait dans sa paume, tordant les hampes sur elles-mêmes et renvoyant les flèches dans l'exacte direction d'où elles provenaient. Elle s'élança dans les airs à la suite de l'une d'entre elles et atterrit sur un homme mourant.
Dans un éclair rouge et argent, elle dégaina la dague de l'infortuné de son fourreau et lui trancha la gorge. Puis elle se redressa, délivrant la mort à chaque homme présent dans la pièce.
Ou observez la vie de Waigar Sumarion, champion des Thelgrim et chef des armées du Nord. Il fut une époque où prononcer son nom nétait pas interdit, lorsqu'il n'etait pas encore corrompu par la mort et l'effroi. Il ne faut pas oublier que Waigar Sumarion était un des généraux des Sunderman pendant les Premières Tenebres. C'est gráce à son talent et à ses qualités de meneur d'hommes que les Uthuk Y'llan furent stoppés à la Bataille de Thelgrim, qui fut sans aucun doute le tournant de la guerre. Meme après la perte de son armée dans les étendues corrompues de Char'g et les années passées dans les horribles donjons de la Citadelle Noire, son honneur et son commandement lui furent rendus.
Pendant de très nombreuses années, il poursuivit sa campagne contre les Uthuk pervertis, même si bon nombre clament que son esprit était déjà tourné vers les ombres et qu'il ne faisait que rassembler les forces dont il aurait besoin pour trahir Timmorran.Ketyana lutta pour rester sur ses pieds en entendant ses gardes se faire massacrer. Elle avait jeté un oeil lorsque le combat avait débuté, mais Eliza n'était pas loin, déchiquetant les deux hommes en faction devant sa porte.
Tout redevint calme. Mème les plaintes des mourants s'étaient tues.
A nouveau, Ketyana se saisit du poignard posé sur son bureau. II tremblait dans sa main sans qu'elle puisse le contrôler et elle décida de le reposer ; des soldats entrainés étaient tombés face à sa soeur comme des enfants - la survie était donc une notion à oublier. Un léger coup à la porte brisa le silence, et Ketyana s'effondra en sanglotant sur le sol. . "Eliza, s'il te plait... Je ne voulais pas... S'il te plait, arrête. Je.. ne..."
« Tu ne quoi? "répliqua Eliza qui se tenait devant sa soeur, ayant pénétré dans la chambre d'une façon ou d'une autre. Tu ne veux pas être ici? Eh bien, je ne voulais pas non plus que tu y sois, mais tu as pris la décision de revenir quelques heures à peine avant que père ne rende son dernier souffle.»
"C'est la raison pour laquelle je suis revenue. Il fallait que je le vois avant... »
"Avant que tu ne perdes ton héritage?" répondit Eliza d'un ton cassant, tirant la tête de sa soeur en arrière en lui agrippant les
cheveux. Du sang et de la salive tombaient goutte à goutte de ses dents pointues.
"Que t'est-il arrivé?" suffoqua presque Ketyana.
"J'ai fait ce qui était nécessaire afin de préserver mon héritage, tout comme toi. Une fois que vous serez morts tous les deux, je serai la
seule héritière. »
"Une fois morts tous les deux... mais, c'est donc toi qui as tué Garreth ?"
Eliza éclata de rire et projeta rudement sa sceur sur le sol. " Bah, ce n'était pas réellement moi, mais oui. Garreth était un idiot respectable qui n'avait aucune capacité à diriger ce royaume. Tout comme toi, misérable entêtée qui n'a aucune légitimité sur l'héritage." Elle se saisit du poignard posé sur le bureau et le planta dans le dos
de sa soeur.
Ketyana poussa un léger cri, mais ne se débattit pas. Chacune de ses respirations était lente et souffreteuse. Elle étouffa un rire douloureux en se retournant pour faire face à sa soeur. « Tu seras tellement en colère quand tu découvriras... » Eliza se précipita sur elle et secoua le corps déjà flasque de sa sceur, essayant d'entendre le reste de la phrase, mais Ketyana était déjà morte.
Une heure plus tard, un exécuteur testamentaire, tremblant, se te
nait devant Eliza. Derrière eux, le Seigneur Cathori reposait, froid et calme, sur son lit de mort. L'homme tendit un parchemin à Eliza et réitéra son explication " Le sceau est toujours intact, Milady. Et il le restera jusqu'à ce que tous les héritiers soient réunis."
" Il ne reste plus que moi ", rétorqua Eliza.
«Peut-être, Milady, avez-vous une soeur dont vous ignorez l'existence, ou encore une de vos sceurs peut avoir un enfant. »
"Ketyana", siffla Eliza. Elle tua l'homme sans qu'il ait eu le temp d'esquisser un mouvement et se retira dans ses quartiers afin de se préparer au voyage à venir. Elle partirait immédiatement pour trouver l'enfant.
Quelle explication peut étouffer la peur de voir tout homme devenir un traitre, ou de constater que celui qui hier encore combattait les pires ombres de notre époque sera demain un champion de la terreur et de la mort? J'ai dejà été témoin de telles choses, et je le serai encore. C'est une triste légende, mais il faut l'écouter. Tout comme les chants funèbres des elfes Ki'Anith, ces histoires font appel aux tréfonds de nos âmes pour percer les mystères de la mortalité, du destin et du mal.L'odeur nauséabonde devint encore plus forte au moment où la meute dirigée par Uzrakhal déboucha de l'obscurité. Les cavernes étroites et sinueuses, qui étaient leurs terrains de chasse habituels, ouvraient sur des salles grossièrement taillées et aux pierres maculées. Les chasseurs silencieux passèrent rapidement devant les chambres funéraires dans lesquelles les tyrans avaient entassé leurs morts, leur interdisant de ce fait de retourner à la terre. Les oppresseurs se moquaient de ceux qui tombaient en entourant leurs prisons de pierre de ces objets qu'ils convoitaient de leur vivant mais ne pouvaient avec eux emporter dans la mort. II n'y avait aucun honneur à trouver chez les sauvages du dehors.
Uzrakhal savait que, une fois défoncées les portes pourries menant vers le haut, sa meute serait proche.
Les ruisseaux qui suintaient sous les grandes villes gargouillaient devant ses yeux. Il fit jaillir ses griffes et laboura la porte. Ses hommes vibrèrent d'excitation. La soif de sang ne pourrait plus être réprimée bien longtemps ; s'ils n'atteignaient pas la surface rapidement, la faim les rendrait enragés, et la rage les ferait se battre les uns contre les autres avec force cris de bataille qui ne manqueaient pas d'alerter les races du dehors. Uzrakhal bondit en avant, sa meute sur les talons, cherchant désespérément un chemin menant à la surface.
Seul un petit groupe de héros, s'extirpant de cette fange obscure et différente qui semble tout recouvrir, se dresse contre cette vague de désespoir: ils sont ceux pour qui les ballades sont écrites, les fêtes organisées et les statues érigées ; et il y a ceux qui ne seront jamais reconnus, oubliés sous les ruines des royaumes qu'ils combattirent.
Toutes les rues de Tamilir résonnaient du vacarme sans fin des cloches. La garnison avait été rappelée derrière les murs, laissant penser qu'une insurrection se préparait. Les archers et les mages apparurent sur les murs érigés entre les quartiers, et toutes les portes furent fermées. Une brigade de fantassins prit place derrière une des portes. Un tumulte naquit de l'autre côté et les archers
lâchèrent plusieurs volées de flèches.
"Loyaux soldats de Tamilir", tonna une voix. Tous les visages se tournèrent en direction de Sir Alric qui descendait le boulevard devant eux au grand galop. « Ne craignez pas les heures à venir, car il est aisé de se battre au sein de notre ville. Nous en connaissons chaque rue et chaque bâtiment, et tous nos concitoyens sont avec
nous. Nous avons l'avantage - nos adversaires tomberont avant que cette heure ne s'achève !»
« Mais, Sir, quelle est donc cette horreur qui arrive? » cria un soldat.
« De ce que j'en sais », répondit Alric, "une meute d'Hommes-Bêtes a réussi à trouver un chemin vers notre cité - et nous sommes là pour les repousser. Venez, loyaux soldats, et portons avec honneur nos lances et nos boucliers cette nuit...» Les portes cédèrent d'un coup, vomissant un nuage de fumée et de poussière sur les
soldats. "Pour Tamilir et le Roi Perdu !"
Je ne parle bien évidemment pas des foules sans fin qui rejoignent les armées de ceux qui ont soif de pouvoir, guerroyant pour des terres et des titres de nobless. Nom, je parle de ceux qui ont donné leur vie en essayant de protéger la vertu et la civilisation.Le carnage était bien pire que ce à quoi Sir Alric s'attendait. Tout au long de leur progression dans le quartier en flammes, ils ne croisaient que des cadavres. Encore et toujours, les Hommes-Bêtes déferlaient sur eux tel un nuage de corbeaux sur un champ de céréales après la récolte. Les créatures sauvages étaient aussi promptes à s'abattre sur les lignes de soldats qu'à se replier dans les ombres environnantes une fois le coup porté, affaiblissant chaque fois un peu plus les rangs des fines lames de Tamilir. Alors que la colonne approchait de la place centrale du quartier, un survivant se précipita vers eux. Son bras portant le bouclier ballottait, inerte, le long de
son flanc, et la plus grande partie de son armure avait été déchirée.
"Fuyez, mon Seigneur", dit l'homme "une bête immense vous attend sur la place, dévorant tout ce qui approche..."
Alric ordonna aux soldats survivants de se mettre en position défensive et s'approcha de la place, seul. Une meute enragée l'observait depuis les ombres environnantes, mais il ne ressentait aucune peur. Son épée brillait d'une sainte lueur vengeresse et son bouclier résisterait à tous les coups- la créature allait périr.
Aucun des cris coutumiers de l'incendie d'une ville ne se faisaient entendre. Les flammes rugissaient, les bâtiments s'effondraient tout autour de lui, mais un étrange silence l'entourait. Seul au centre de la place attendait un Homme-Bête au pelage argenté, le corps couvert des cicatrices de mille parties de chasse.
Aucun des deux ne dit mot ; les dents et l'épée furent les seules à parler. Uzrakhal chargea Sir Alric avec une férocité hors du commun, comme s'il était possédé par toutes les forces chaotiques de la nature. Mais le Gardien de Tamilir restait de marbre, conservant un calme et un sang-froid magistraux face à cet ouragan de
sauvagerie. L'énergie de la bête semblait infinie, mais sa frustration s'accrut lorsqu'il devint évident que le chevalier possédait lui aussi, une endurance hors du commun. Finalement, la bouche écumant de rage, Uzrakhal rompit le combat et poussa un hurlement violent et soudain.
Un millier de formes sauvages émergèrent de chaque fenêtre et allée, convergeant toutes vers le chevalier solitaire en une masse tourbillonnante. Les soldats témoins de la scène se précipitèrent pour lui venir en aide, mais ils ne purent briser la masse de corps qui l'entourait.
Sir Alric chargea son adversaire, s'exposant à un coup mortel en échange de celui qu'il s'apprêtait à porter.
La tête d'Uzrakhal tournoya librement dans les airs et, pendant un bref instant, Sir Alric put profiter de ce moment d'héroisme avant que l'innombrable horde ne se referme sur lui, mettant fin aux jours du grand chevalier.
Mais que peut-on dire lorsqu'un de ces piliers d'espoir et de lumière s'effondre? Pas dans la mort, mais dans l'obscurité qui se cache dans l'âme de chaque homme.
Merick se tenait au-dessus du corps de son frère.
Une armure d'or avait été fabriquée pour ses funérailles, recouvrant ses restes écorchés. De plus, les prêtres avaient réparé son visage, tellement
mutilé qu'il n'était plus du tout reconnaissable.
La texture artificielle de sa chair brillait d'une lueur surnaturelle, mais l'expression de puissance et de sérénité qui avait été la sienne durant toute sa vie était bien présente. Il semblait simplement endormi.
Le corps de Merick fut secoué d'un sanglot silencieux. Une crainte comme il n'en avait encore jamais ressentie s'insinua dans son coeur et dans son esprit sans qu'il parvienne à la dissiper. Au-delà des murs de pierre froide de la tombe pleurait une ville entière, mais sa douleur n'était rien comparée à la sienne. Alric était plus qu'un frère, plus qu'un ami, il était la force qui faisait tenir Merick debout. C'était une vérité qu'il avait refusé de voir durant toutes ces années, mais rien ne pouvait désormais plus la dissimuler. L 'espoir et la joie étaient devenus des souvenirs écœurants qu'il espérait pouvoir oublier. Ne subsistait que la haine - envers tout et n'importe
quoi, il n'était plus que haine.
Des ombres vacillantes et des rubans de flammes tournoyaient autour de la tombe de Sir Alric Farrow. Quelques pèlerins fuyaient vers les gardes, mais Eliza se fraya un chemin parmi la foule de badauds et se précipita vers le brasier naissant. Elle pénétra dans la tombe pour y trouver Merick qui se tenait à l'opposé, le corps d'Alric gisant entre eux. Les yeux du mage étaient rougis par le chagrin et la rage. Son regard se posait sur quelque chose qui se trouvait hors du domaine des vivants.
« Mon amour,» murmura Eliza, « ne fait pas ça. Reviens-moi ».
Elle essayait de l'atteindre par les émotions, mais elle se heurta à un flot de haine qui faillit la balayer. Le souffle court, elle se réfugia le long du mur.
Merick poussa un grognement qui se transforma en hurlement.
« Le monde brûlera ! »
« Alors, qu'il brûle... Mais pas avant que ton frère soit à nouveau à tes côtés.» Le mage tourna son attention vers Eliza, et elle sut qu'à ce moment-là elle pouvait le sauver ou le perdre à jamais. « Nous sommes des êtres qui ne suivons pas les lois des mortels. Laisse-moi être ta force et ton soutien, et nous trouverons un moyen de
le ramener le moment venu. » Elle tentait à nouveau de l'atteindre par les émotions et, cette fois, elle trouva une prise. Merick s'effondra et Eliza le prit dans ses bras avant qu'il ne percute sol. Alors, dans l'obscurité, Merick se mit à sangloter pendant qu'Eliza élaborait un plan.
Telles les cendres embrasées selevant du feu, les hommes retombent eux ausi comme des coquilles vides en comparaison de leur gloire passée. Chaque âme se brise, luttant pour devenir quelque chose de plus, tentant d'echapper au carcan inique qu'est son destin.Un mois après la mort de Sir Alric, Lord Merick Farrow et Lady Eliza Cathori se marièrent. La cité s'en réjouit, mais bon nombre s'interrogèrent sur la rapidité avec laquelle se produisit cet événement. Comme à l'accoutumée avec Eliza, le couple disparut du grand public et l'on n'entendit plus parler d'eux durant des années.
Pendant ce temps, comme l'histoire aime à se répéter, une ombre enveloppa à nouveau les cités libres de Terrinoth. Vorakesh le nécromancien débutait son ascension vers le pouvoir.
On en était donc là lorsque les Farrow réapparurent, beaucoup pensant qu'ils étaient revenus afin de défendre les terres et aider à leur reconstruction. Une lueur d'espoir naquit dans les villes, mais il ne fallut pas longtemps avant que la population ne déchante: tous deux ne laissaient dans leur sillage que peur et calamités. Ils
établirent leur foyer dans Tamilir et y demeurèrent de nombreuses années, bien à l'abri derrière le mur de peur et de corruption qui tourmentait cette ville. De sombres alliances furent forgées et restaurées. Vorakesh gagnait en puissance, et Merick avait enfin acquis ce dont il avait besoin pour ramener son frère à la vie
Faire face à cette vérité me laisse songeur, la pensée rationnelle nécessitant un avis introspectif pour juger de l'ampleur et de la profondeur de la lumière toujours présente en moi. J'ai vu des générations s'élever puis chuter que ce soit dans la mort ou la décadence, et je suis toujours là. Ma santé mentale ma-t-elle abandonné, et suis-je victime d'une illusion de vertu comme tant de seigneurs des ténèbres« Ne t'adresse ni ne jette un regard aux seigneurs lorsqu'ils apparaîtront, " prévint Eliza. Leur seule présence sera suffisante pour effectuer notre rituel. »
Merick remarqua la sueur froide sur le visage d'Eliza et décida d'appliquer ses paroles à la lettre. Les lignes du livre de Vorakesh brulaient toujours dans son esprit, générant des désirs et des requêtes de leur propre volonté. Il lui fallait contrôler leur pouvoir encore quelques minutes.
la porte de pierre s'ouvrit, béante; les Seigneurs d'Oru'khan étaient là. Merick pivota pour les regarder, mais Eliza lui saisit le menton des doigts et l'obligea en souriant à garder la tête droite. « Tu ne veux pas voir ce que j ai vu, mon amour. »
Levant son bâton au dessus du corps de Sir Alric, Eliza commença sa mélopée. En temps voulu, Merick se joignit à elle, luttant pour contrôler le flot de paroles qui se déversait de sa bouche. Eliza leva le calice et une fontaine de sang cascada le long du bâton pour se répandre sur le corps flétri gisant devant elle. Un choeur grave
s’éleva dans leur dos lorsque les seigneurs se mirent à leur tour à psalmodier. Des éclairs d'énergie noire se fichèrent dans la chair morte du chevalier au moment où la mare de sang tout juste formée se mettait à bouillir.
Alric suffoqua en prenant une inspiration d'une ampleur inimaginable, comme s'il n'avait cessé de se noyer depuis sa mort. Merick s'avança en tremblant, mais un ordre silencieux résonna dans son esprit:" N'interromps pas l'incantation." Il poursuivit donc, mème si les sensations qui enflaient en lui rendaient la tâche encore plus délicate. Enfin, Alric s'assit et exhala un long souffle rauque, le corps animé d'un semblant de vie.
Merick s'effondra sur les épaules de son frère, sanglotant de joie. Même si le chevalier désormais mort-vivant ne répondit pas à l'accolade, Merick était fou d'allégresse.
La pièce redevint silencieuse, exception faite du bruit occasionné par les seigneurs qui se retiraient. Eliza attira son mari vers elle et posa le menton sur son épaule, ses lèvres effleurant son oreille. " Et maintenant, qu'avais-tu dit à propos du monde devant bruler?"
Quelle est donc cette malédiction infligée par une divinité inconnue qui fait de moi un spectateur de la mort et de la corruption s’emparant de tous mes amis sur plus de treize générations? Même maintenant, je sens son emprise qui se resserre. Cette vallée de repos s'assombrit encore, et les vies de ceux qui m’entourent ne luisent plus que faiblement en son sein.
-Arrizon, Dernier Erudit de Saradym